Autorisé à quitter l’hôpital sous certaine condition? Et quoi encore… Rien ne saurait retenir Frank dans ce cloaque. On a assez profité de sa faiblesse. Évoquer des mesures de contention, c’était bas.

Quelqu’un avait nourrit Canard. Mais pas de manière régulière…

- MIARL!

L’animal feula et cracha. Frank pouvait en faire autant. Mais il contint sa mauvaise humeur un instant et décrocha le téléphone.

- Vous ne livrez pas pour une prescription qui n’est pas au dossier? Mais j’ai un dossier… Mademoiselle, si je vous demande de me livrer ma médication, c’est parce que je ne suis pas en mesure de me déplacer pour vous donner la prescription… fit-il avec une douceur trompeuse.

Frank connaissait la nature humaine… On ne prend pas les gens à rebrousse-poil quand on désire obtenir quelque chose. Il perdit rapidement patience, raccrocha et composa un autre numéro.

- Linus? J’ai besoin de toi. Tu es mon dernier espoir.

Un message expéditif… Linus n’avait aucune loyauté envers lui, mais la curiosité lui gagnerait sa collaboration. Il griffonna une note et avec un couteau de cuisine, l’épingla avec la prescription à sa porte.

Frank endossa sa robe de chambre et s’affala au travers de son lit.

- Dernier espoir ? Il y a une brève interruption, jusqu'à ce qu'il saisisse le message. Ah, wais, Hetty est occupée, c'est ça ?

Parce que Linus n'est pas le premier à qui on pense quand on a besoin de quelque chose. Il fait rarement parti du dernier espoir aussi faut-il noter. Il suppose que c'est parce que Frank le connait depuis toujours qu'il est un dernier espoir plutôt que du désespoir. C'est pas mal, non ?

Non.

Il le constate avec un déplaisir qui s'exprime par quelques jurons bien senti à travers la porte de chez Frank lorsqu'il voit à quelle tâche il est affecté. C'est Hetty qui rapporte avec plaisir, inlassablement, pas lui. Il détache la prescription et quand même, il est le dernier espoir, non ? Non. Mais il aurait pu le lui demander face à face. Non, il a préféré lui épingler sur la porte. Qu'il aille se faire foutre, grogne-t-il en s'exécutant tout de même. 

Il est de retour devant la porte une heure plus tard. Il est toujours furieux contre Frank. Il est toujours en colère. Il retire le couteau qui épinglait la prescription et poignarde le sac en papier contenant les médicaments de Frank d'un coup rageur. 

Il reste face à la porte quelques brèves secondes, puis fait demi tour. 

Qu'il aille se faire foutre.

Il faut vraiment être désespéré pour demander à Linus. Mais même s’il ne l’admettrait jamais, Frank sentait que Linus l’aimait bien… Il n’était pas enthousiaste, pas même ouvert. Mais Linus se laissait manipuler alors qu’il savait parfaitement que Frank l’influençait. Linus s’était laissé piéger et embaucher… Voilà, Linus n’aimait personne… Mais Frank aimait Linus. Et le problème était que Linus n’y croirait jamais.

Tamany road n’était pas le quartier le plus luxueux de Lewiston. L’édifice datait et les murs étaient en carton. Frank entendit Linus pester à la porte mais se garda bien de signaler sa présence. À cet instant il regrettait un peu son départ précipité de l’hôpital St-Joseph. Linus n’était certainement pas du genre à lui faire chauffer de la soupe.

Frank eut un reniflement d’autodérision et se laissa aller à un sommeil peuplé de rêve fiévreux.

CHTAC!

Frank ouvrit un œil et écouta attentivement. Le seuil de la porte, sous la moquette du corridor, gémissait d’avoir été piétiné par de trop nombreux visiteurs. Ce visiteur-là était indécis… Linus était la définition même de l’indécision. Frank eut un sourire de loup et se leva péniblement de son lit, pour aller ouvrir. Il récupéra ses médicaments et referma la porte en glissant le verrou.

- Brave gamin… C’est vraiment injuste que tout le monde ait toujours préféré Errol…

Ça méritait d’être souligné, non? Linus faisant preuve de générosité et d’abnégation! Frank couru à sa fenêtre, contournant de quelques bonds maladroit tout ce qui encombrait son 1½, repoussa Canard et ouvrit la fenêtre juste à temps pour voir Linus sortir de l’immeuble. Il passa le torse à l’extérieur.

- CHATWOOD! HEY!!! LINUS! Fit-il en lui faisant de grands signes de la main, en tshirt et en robe de chambre. MERCI GAMIN!!!!!!

Frank qui remerciait qqn sans sarcasme? Il était vraiment malade alors… Peut-être à l’agonie…

Sérieux, rien à foutre de ce vieux con. C'est Hetty son chouchou de toute manière. Elle est le chouchou de tout le monde après tout. Il n'a même pas prit la peine de lui demander face à face. Non, il a épinglé une note à la porte. Sans doute que Hetty était occupée. Rien contre l'idée de rendre service. Qu'il aille se faire foutre. Il demandera à Hetty la prochaine fois. En plus, Linus a du laissé Nigel tout seul tout ce temps. C'est bien le pire dans tout ça. Il n'aime pas laisser Nigel tout seul. Il s'arrête en sortant de l'immeuble pour allumer une cigarette, comme d'habitude, même s'il en a écrasé une juste avant d'entrer.

Il se fige un instant en entendant Frank lui crier dessus. Il se retourne, parce que c'est son nom et généralement, il se retourne quand on hurle son nom. Il lève les yeux vers la fenêtre. Mais ce sont des remerciements. Il joue à quoi le vieux con ? Il  Il se contente de souffler la fumée vers le ciel, ainsi qu'une malédiction silencieuse. C'est fait. Il a rempli sa mission. C'est ce que Frank voulait, hum ? C'est ça. Maintenant, tous ses médocs lui seront livrés en temps et en heure. Linus est généralement désagréable, mais il est efficace.

Il ne s'attarde pas. Il n'aime pas laisser Nigel seul... il n'a pas vraiment quitté l'hôpital depuis que Nigel y est. Il a passé quelques heures au poste de police, quand il savait ses parents avec Nigel… ou quand Hetty y est… mais le reste du temps, il est à l’hôpital. Tout le temps. Presque tout le temps. Il ne prend pas la peine de répondre à Frank. De toute manière, Frank sait à quel point ça l’agace. Il doit aller à l’hôpital. Il monte dans sa voiture et ne lui jette aucun regard. Pas la peine.

Il y a des gens comme ça, des énigmes. Frank n’a jamais cherché à percer celle-ci. Linus est Linus. Le gamin de Monique et Jeff. Il avait été le frère d’Errol. Il était encore celui de Nigel, pour un temps… Il ne sert à rien d’être généreux avec celui qui ne veut rien.

Frank soupira profondément en refermant la fenêtre.

Un bain… Il avait besoin de se détendre. Frank connaissait tous les trucs contre l’insomnie. Aucun n’avait jamais fonctionné. Un bain? C’est un truc de fille… Chandelles, musique douce, et coupe de vin frais? Et quoi encore! Frank ne buvait plus depuis des années.

Le flic se fit couler un bain. Pas trop chaud… Il rafla un roman format poche qui trainait, ouvert à l’envers sur le réservoir de la toilette et plongea. Se détendre. Frank n’avait jamais su se détendre. Pas depuis que Monique Chatwood était entrée dans sa vie. Relaxer… Il mouilla une débarbouillette pour se la coller dans la figure. Relâcher… Il se força à respirer lentement, régulièrement.

À la fenêtre, Canard guettait l’activité du voisinage. Un animal de compagnie est réputé pour adoucir les mœurs. Que Frank partage sa vie avec un chat avait toujours plu à toutes les psychologues professionnelles qu’on lui avait imposé. Un homme vivant avec un chat ne peut pas être si fou que ça. Même quand le chat s’appelle canard. Canard descendit du rebord de la fenêtre. Un bond sur l’appui du fauteuil qui lui servait de lit, puis un bref délai, le lit, le plancher, et voilà la bête dans la salle de bain.

- MIARL?

Vivre avec un chat implique que les portes restent ouvertes. Un chat se trouve toujours du mauvais côté de la porte. D’un coup de doigt vicieux, frank l’aspergea.

- Fiche moi la paix, ouste! T'as déjà mangé...

On n’entendit pas la détonation. Elle se produisit à l’extérieur, loin, sur le toit plat d’un édifice à étage. On n’entendit pas non plus le tireur pester à l’adresse du :

- FOUTU CHAT!

Dans le petit appartement de Tammany road, il se produisit trois sons, se rapportant à deux événements qui se produisirent presque instantanément.

Le PLINK d’une balle de petit calibre traversant la fenêtre…
Le CLACK de cette même balle se logea dans le mur à l’endroit exact où se trouvait la tête du flic un instant plus tôt.
Le PLOUF des pièces de céramique tombant dans l’eau du bain.

Le tireur expulsa la cartouche, et visa à nouveau…

- Eh merde…

Il y eu un ras de marrée lorsque frank s’enfonça sous l’eau. Canard déguerpit sans demander son reste.

De la fonte. De la bonne vieille fonte bien épaisse. L’endroit le plus sûr de la très petite superficie de l’appartement de Frank était la baignoire. La porte ouverte de la salle de bain en faisait aussi un des plus exposé de l’appartement. Frank se trouva donc confronté à une difficile décision. Sortir de l’eau ou pas. Dans l’immédiat, il avait besoin de respirer.

Du pied, Frank arracha le bouchon en tirant sur la chaine.

- Eh merde… fit-il en écho au tireur en avalant une grande goulée d’air.

Est-ce qu’assez d’eau a été renversé pour inonder le voisin du dessous et attirer le propriétaire? Non, pas vraiment. En fin d’après-midi, on ne pouvait pas vraiment compter sur le tapage nocturne et le petit calibre n’avait pas traversé le mur. Linus ne reviendrais pas… Ça allait être une longue après-midi. Oui parce que le soleil se couchait encore tôt et que le tireur n’aurait plus de visibilité. La seule chose qu’il avait à craindre, c’est que le tireur ne soit qu’une couverture et qu’il ait un acolyte.

- Salopard… fit le tireur en regardant dans la lunette d’approche.

Il balaya la surface de l’appartement. Il avait bien envie de mettre la pression mais des détonations successives attireraient l’attention. Pouvait-il au moins avoir le chat??

- Foutu chat…

Le tireur n’était pas certain de ses hypothèses mais il n’était pas le genre d’homme à avoir besoin de garantie. La fouille de l’appartement lui avait appris beaucoup de chose. Sur le flic. Pas sur la personne qu’il recherchait. Il ignorait pourquoi il était là, pourquoi il s'en prenait au flic. C’était il y a longtemps. Ça faisait trop longtemps. Frank Wilcox pouvait être n’importe qui.

L’occasion était ratée. Le tireur démonta rapidement son arme et quitta les lieux.