Red lipstick, rose petals, heartbreak.
— Mandy & Saffron


Pendant les premières minutes qui avaient suivies l’incident, elle avait ressenti une colère insoutenable. Puis, loin des regards indiscrets, elle s’était jurée, entre cris et larmes, que tout ceci serait bientôt fini. La rage s’était lentement estompée pour laisser place à l’amertume d’une profonde tristesse. Les stigmates naissants sur son visage et le long de ses courbes parfaites se coloraient au fil des heures, révélant une silhouette endolorie. Captive de sa robe de soirée, Amanda Crow déambulait dans le hall de l’hôpital Saint Joseph à la recherche d’un infirmier ou d’un médecin qui voudrait bien l’ausculter. Mandy n’avait pas la moindre envie d’être ici mais son aîné, l’ayant sortie de ses ennuis cette fois-ci, l’avait emmenée sans qu’elle ne puisse protester. Néanmoins, la demoiselle avait conscience que ses hématomes intrigueraient et, après le placement de sa jeune sœur, elle ne voulait pas risquer une nouvelle humiliation.
Debout, au centre de la pièce, elle craignait qu’on ne veuille la garder en observation pour la nuit et le confort de son petit appartement lui manquait déjà. Délicatement, la jeune femme vînt s’appuyer contre le comptoir de l’accueil. Elle pouvait observer la silhouette longiligne, bien qu’installée sur une chaise, de l’homme qui lui faisait face avec ses cheveux blonds miellés et ses yeux noisettes cernés. La fatigue apparente sur son visage témoignait d’une rude journée. Incapable d’émettre le moindre son, elle l’écoutait réciter son texte de façon monotone. Le protocole, simple formalité parmi tant d’autres.

- « Je vais donc vous demander votre nom. »
- « Crow. Amanda Crow. » répondit-elle dans un vulgaire souffle.

Soutenant ses prunelles chocolat le plus longtemps possible, l’infirmier de garde fit le tour du comptoir. Amanda le suivit jusque dans un box encerclé d’immenses rideaux d’un blanc qui semblait jaunis par le temps. Devant elle se dressait un brancard sur lequel le professionnel lui indiqua de s’assoir.

- « Je vais vous laisser dégrafer votre robe et relever vos cheveux.» commença-t-il tandis qu’il s’approchait d’elle. « Je pose votre dossier ici, Monsieur O’Leary s’occupera de vous dans un instant. »
- « Merci. »

Face à elle-même, Amanda se sentait mal, vulnérable, impuissante. Son teint halé meurtris par des ecchymoses bleutées, elle espérait secrètement que l’infirmier de garde ne lui demanderait pas de se dévêtir un peu plus. En tenue d’Eve sous sa robe de satin, la jeune femme appréhendait le moment où il l’examinerait.
Les prunelles scintillantes tournées vers la petite étagère fixée au mur, Mandy détaillait les multiples produits exposés. N’était-ce pas dangereux de les laisser à la vue de tous ?

- « Bonsoir. »

Sans se retourner, la jeune femme sentait son regard s’attarder sur elle. Fraîche et délicate, le timbre grave de sa voix avait fait naître en elle un frisson qui l’avait parcourue toute entière. En cette soirée où nombre de patients semblaient être forts alcoolisés, Monsieur O' Leary avait la chance -ou le malheur- de récupérer le dossier d'une jeune créature à demi-nue.

- « Bonsoir. » lâcha-t-elle enfin d’une voix presque inaudible.

Red lipstick, rose petals, heartbreak

Ft. Amanda Crow

Changement de quart, Saffron est fraichement arrivée. Reposé, souriant, il fait sa tournée des chambres, bavardant avec les malades, avec les visiteurs et avec ses collègues. Un quart de travail au tri. C'est pas ce qu'il préfère. Il préfère le post-chirurgical, les gens sont plus disposé à se divertir et à se changer les idées. Ici, il peut bavarder tout de même.

- Saff, jeune demoiselle bien roulée, plusieurs plaies et ecchymoses. Elle t'attends, à peine vêtue, commente un des infirmiers. Et à mon avis, elle n'était pas beaucoup plus vêtue à son arrivée. À mon avis, elle s'est fait tabasser par son rencard.

Saff relève la tête du dossier qu'il termine de remplir et grimace.

- Personne veut ton avis à ce sujet, on sait tous que t'es qu'un misogyne. Dit comme ça, je sens la pointe de jalousie dans ta voix. J'te gage que que tu m'as encore appelé Monsieur O'Leary. Y a personne qui désigne ses collègues par leur nom de famille. Y a que toi. Tu vois, sur mon badge, c'est écrit Saff.

Effectivement, parce qu'il avait collé un autocollant avec Saff par-dessus le Saffron O'Leary de base. Tout le monde l'appelle Saff. Y a que ce gros con pour user du Monsieur O'Leary pour l'emmerder. Il note tout de même que ce sera moins marrant qu'il espérait. Une jeune femme couverte d'ecchymose, ça ressemble à un passage à tabac. Avant de se glisser derrière le rideau, il réserve la radiographie. Au cas ou.

- Bonsoir, dit-il en ouvrant à peine le rideau et en le refermant rapidement derrière lui. La dignité et l'intimité ont toujours été très important pour Saff. Il pose les yeux sur la jeune femme et ses soupçons se confirment. Oh oui, elle a été tabassé. Il prend le dossier et l'inspecte rapidement, juste pour savoir son nom et ses allergies. L'essentiel. Le reste sera peut attendre quelques minutes. La demoiselle en premier. Dure soirée, commente-t-il d'une voix blanche. Je vais devoir vous poser quelques questions, Amanda. Et la première question, je vous la reposerai à quelques reprises, que vous répondiez à l'affirmative ou pas, dit-il bien franchement, d,un ton empathique. Voulez-vous porter plainte ?

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— Mandy & Saffron


Soucieuse, elle le considérait dans son ensemble et, face à l’expression de son visage, comprenait qu’elle avait devant elle un homme très professionnel. Parcourant son dossier d’une traite, il avait probablement écarté tout état d’urgence. Elle n’était ni plus ni moins qu’une coquille vide percée de mystères. Loin des autres patients moites et imbibés, Amanda attendait patiemment l’instant précis où le grand O’Leary lui permettrait de partir. Elle n’avait aucune envie d’être ici et n’avait pas, non plus, l’intention de répondre à la moindre question.

- « Dure soirée. »

Silencieuse, Mandy acquiesça. Il ne croyait pas si bien dire. Ce début de nuit lui paraissait interminable.
Fixant ses doigts fins, elle jouait avec ses bijoux brillants de mille feux, bien qu’ils ne soient que de pâles copies d’originaux.

- « Je vais devoir vous poser quelques questions, Amanda. Et la première question, je vous la reposerai à quelques reprises, que vous répondiez à l'affirmative ou pas. Voulez-vous porter plainte ?»

Levant les yeux vers lui, elle feignit la surprise.

- « Porter plainte ? » répondit-elle dans un vulgaire souffle.

Amanda se sentit défaillir. Elle avait beau être certaine de ses positions, la jeune femme ne s’était pas préparée à l’éventualité de cette question. Sous l’effet de la panique, elle eut bientôt le souffle coupé. La respiration saccadée, le cœur serré, Amanda serrait les poings. Les sourcils froncés, les yeux clos Mandy tentait, en vain, de rester maîtresse d’elle-même. Mais même l’homme le plus simplet du monde se serait rendu compte de son malaise.
Se redressant, elle inspira profondément.

- « Saff… » commença-t-elle en se contentant de lire les quatre lettres apposées sur l’autocollant ornant sa poitrine. Puis, s’apercevant de leur caractère intime elle continua, troublée. « Monsieur O’Leary. Je suis désolée d’être venue ici ce soir, je pense m’être emballée, ce n’était vraiment pas nécessaire. »

Inquiète, elle cherchait une échappatoire. Un mot, une phrase qui lui permettrait de rejoindre Chris le plus rapidement possible. Seuls quelques mètres les séparaient l’un de l’autre, quelques stupides centaines de centimètres.

Replaçant une innocente mèche derrière son oreille, elle s’humecta les lèvres. Pourquoi avait-elle, encore une fois, suivi les conseils de son frère ? Pourquoi avait-elle, toujours, cette fâcheuse habitude de lui obéir au doigt et à l’œil ?
Pour la première fois depuis longtemps, Amanda Crow s’était placée dans une position difficile. Une posture où elle perdait indubitablement pieds et où elle se devait de faire marcher l’infirmier dans son sens. Peu importe le prix.

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Ft. Amanda Crow

La jeune femme semble surprise de la teneur de la première question. Pourtant, au premier coup d'oeil, c'est celle qui lui semble la plus opportune. Bien sûr, si elle avait été inconsciente, ou si on lui avait dit qu'elle était couchée, il aurait commencé par l'examiner. Elle semble aller toute sommes bien. Mais sa vive réaction lui fait penser qu'elle n'avait même pas envisagé cette possibilité. Et pourquoi ? Oui, parce que franchement, si elle espère lui faire croire qu'elle s'est planté dans un escalier, c'est raté.

- Pourquoi ? Parce que vous avez parfaitement le droit de porter plainte, Miss Crow, répond Saff, soucieux de lui faire comprendre qu'il est tout à disposé à l'accompagner dans cette voie.

Elle semble sur le point de paniquer, mais elle se contient. Une vaillante jeune femme, de toute évidence, mais sa crainte est manifeste. Saff n'est pas à sa première femme bousculée et terrifiée. Il a été frappé par son grand frère toute sa jeunesse, il est bien placé pour savoir.

- Saff, c'est aussi bien, même que je préfère. Et d'expérience, je ne crois pas que vous soyez venue ici pour rien. Personne ne vient à l'hôpital pou rien. Ou en tout cas, ils ne s'excusent pas. Ceux-là, la plupart du temps, s'ennuient énormément. Ce n'est pas votre cas. Prenez une grande inspiration, remplissez vos poumons d'air. Est-ce que vous avez mal quand vous inspirez ou expirez ?

Il ne l'a pas encore touché, il reste à une distance toute professionnelle et se contente de lui poser des questions pour le moment. Pourtant, il évalue l'étendue des blessures avec ce qu'il voit au premier abord.

- Pouvez-vous me raconter ce qui s'est passé ?

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— Mandy & Saffron


Mordillant sa lèvre inférieure, Amanda cherchait en lui un signe susceptible de le trahir. Un indice démontrant qu’il ne soupçonnait pas déjà le possible déroulement de la soirée et ce qu’il lui était arrivé. Mais elle avait beau vouloir y croire, Saffron O’Leary s’avérait être un infirmier expérimenté qui n’en était pas à sa première garde, ni à son premier cas.

- « Pourquoi ? Parce que vous avez parfaitement le droit de porter plainte, Miss Crow. »

Claires et succinctes, les paroles du professionnel se déversèrent en une pluie âcre et mordante, balayant l’air faussement serein qu’elle se donnait.

-  « Je ne comprends pas. » répondit-elle simplement, le regard fuyant.

Une pression inhabituelle s’exerçait alors sur elle, faisant naître une sensation d’impuissance déplaisante.
À la tête de nombreuses responsabilités depuis le décès de sa génitrice, la jeune femme était accoutumée au port d’un poids sur ses épaules. Mais ce fardeau-là, en revanche, s’avérait être différent.

- « Saff, c'est aussi bien, même que je préfère. Et d'expérience, je ne crois pas que vous soyez venue ici pour rien. Personne ne vient à l'hôpital pour rien. Ou en tout cas, ils ne s'excusent pas. Ceux-là, la plupart du temps, s'ennuient énormément. Ce n'est pas votre cas. Prenez une grande inspiration, remplissez vos poumons d'air. Est-ce que vous avez mal quand vous inspirez ou expirez ? »

Elle l’écoutait attentivement, sentant son sang battre jusque dans ses tempes. Saffron était loin d’être idiot. Elle inspira longuement, puis expira. Aucune douleur à l’horizon.

- « Non, je n’ai pas mal. » commença-t-elle. « Vous travaillez ici depuis longtemps ? Vous avez l’air de bien connaître le métier. » ajouta-t-elle en tentant de noyer le poisson.

Derrière le rideau qui les séparaient des allées et venues des patients et du personnel soignant, une dispute venait d’éclore. On distinguait parmi toutes la voix grave et cassée d’un homme s’égosillant jusqu’à ne plus avoir de souffle. Il semblait fortement mécontent du traitement qui lui avait été administré à son arrivée et menaçait de traîner l’ensemble des professionnels de l’hôpital en justice.

- « Pouvez-vous me raconter ce qu’il s'est passé ? »

Les mots de l’infirmier la ramenèrent à la réalité. Une réalité dont elle ne savait comment s’échapper.

-  « Rien d’alarmant, un simple accident. Vraiment. » s’efforça-t-elle de répliquer.

Délicatement, la jeune femme étira ses membres endoloris, laissant glisser une bretelle le long de son épaule. Encore endormie, la souffrance se frayait lentement un chemin jusqu’aux multiples terminaisons nerveuses qu’abritait son corps.

- « Monsi… » Puis elle s’interrompit, s’éclaircissant la voix. « Saff… Je ressens quelque chose de douloureux, là, dans le bas du dos. » indiqua-t-elle.

Utiliser un diminutif si familier perturbait la jeune Crow. Pour autant, Amanda ne perdait pas son but de vue et se laissait aller peu à peu dans un jeu dangereux.

-  « Plus bas. Encore plus bas. » le guida-t-elle dans un souffle.

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Ft. Amanda Crow

Elle n'est pas la première femme à qui il demande si elle veut porter plainte. Et elle ne sera pas la dernière. Elle n'est pas non plus la première à affirmer qu'elle ne voit pas du tout ce qu'il veut dire, tout comme bien sûr, ce n'est qu'un accident. Si elle n'avait pas eu l'air si chamboulée, il l'aurait peut-être cru. Mais il ne pouvait pas la forcer, bien que selon lui, elles devraient toutes parler. Ça lui éviterait bien du boulot et beaucoup moins d'envie de fracasser des mâchoires sur le trottoir. Il n'insiste pas. Pas maintenant, mais il l'a prévenu, il reviendra à la charge.

- Oh oui, plusieurs années. Depuis que je suis infirmier, je travaille ici. Alors oui, j'ai pas mal de métier. Assez pour savoir que si vous n'avez pas mal en inspirant et en expirant, c'est que vous n'avez aucune côte fêlée ou cassée. Et ça c'est une excellente nouvelle, n'est-ce pas ?

Mais quand même, malgré cette bonne nouvelle, Amanda ne répond pas à cette question. Un accident qui n'a rien d'alarmant ne répond pas à la question qu'est-ce qui s'est passé. Et il comprend très bien que c'est un peu intimidant de raconter ça à un inconnu et vu les blessures et surtout leur emplacement, c'est au mieux un petit jeu et l'un des protagoniste s'est un peu trop emballé. Dans tout les cas, porter plainte reste légitime. Et bien sûr, ça, ce n'est que ce qu,il voit au premier coup d'oeil. Il n'ajoute rien, tout d'abord, puisqu'elle lui indique qu'elle ressent une douleur dans le dos. Il fait dont le tour de la table d'examen pour se glisser derrière elle et il écarte délicatement le tissus qui cache la source de la douleur. Il suit ses consignes et il baisse les yeux au bas de son dos, puis plus bas lorsqu'elle le dit. Il apprécie la vue, à sa juste valeur, cependant ternie par l'ecchymose violacée.

- À première vue, vous aurez cette douleur pour encore quelque jour, vous avez une magnifique ecchymose d'un violet presque parfait. Dans trois ou quatre jours, il passera au rougeâtre, puis au verdâtre avant de s'atténuer. Quel genre d'accident c'était ?

Abandonné, verrouillé et archivé.